Brest, terres océanes

Dimanche 2 juin 2024

Nous repartons, toujours à bord de notre nouvelle Titine rouge, pour visiter une petite ville chargée d'histoire au cœur des terres finistériennes.

Saint-Renan

La légende prétend qu'un ermite irlandais du nom de Ronan aurait débarqué en Armorique dans l'Aber Ildut. Il aurait voyagé sur une auge en pierre. Il a fondé un ermitage à la croisées de voies romaines, près d'une source, à l'emplacement actuel de la mairie de Saint-Renan. On dit qu'il avait des dons de guérisseur et qu'il parlait aux animaux. D'autres lieux en Finistère gardent trace de sa grande notoriété, comme par exemple "Lok Ronan" (Locronan, lok voulant dire ermitage) ou un rocher visible à Lokronan, appelé "chaise de Saint-Ronan".

Brest n'est encore qu'un petit village de pêcheurs au moyen-âge, alors que Saint-Renan y acquiert le statut de Cité. Elle rayonne sur les communes alentours de par son statut de Cour de Justice du Duc de Bretagne. Son riche passé historique est encore visible et une promenade illustrée de panneaux didactiques permet d'en retrouver les traces en suivant les écussons métalliques sur les trottoirs, gravés de l’emblème de la ville : un cheval qui rue, symbole de son passé de ville marchande.

Le menhir de Kerloas

Situé non loin de Saint-Renan, ce menhir (maen-hir signifie pierre longue en breton) est visible depuis Brest par temps clair. Du haut de ses près de 10m, il serait le plus haut de France encore debout. Il a mesuré 12m avant sa décapitation par la foudre.

Visible à 30km à la ronde, il devait constituer un repère remarquable pour les navigateurs abordant la côte déchiquetée du Finistère à une époque où les phares n'existaient pas.

Sa masse estimée entre 100 et 150 tonnes a été transportée sans doute par des hommes aidés d'animaux de bât il y a plus de 4500 ans depuis une carrière située à 3km de là, sur une butte de 135m de haut.

De nombreuses légendes entourent ce monument, et on ignore encore à quoi servaient les deux bosses situées de chaque côté à environ 1m de haut. jusque vers le milieu du 20è s., les jeunes mariés se frottaient nus chacun d'un côté sur les bosses du menhir dans l'espori d'avoir une nombreuse descendance.

Le château et les jardins de Kergroadez

La visite de ce château construit à la fin du 17è s. sur les plans de son noble voisin Kerjean commence par ses jardins. Selon un parcours déterminé par le propriétaire, nous divaguons entre des arbres centenaires et des prairies sauvages, pour arriver à un labyrinthe de charmes et un jardin de plantes médicinales.

On espère que le propriétaire aura bientôt un nouveau jardinier car certaines parties du jardin (de plantes médicinales et labyrinthe) manquent cruellement d'entretien.

Les 8€ payés à l'entrée donnent en outre droit à une visite guidée de plus d'une heure à l'intérieur du château. Les commentaires sont parfois fantaisistes au niveau historique mais nous ne nous sommes pas ennuyés.

Le château fait partie d'une des propriétés finistériennes rachetées et rénovées depuis une vingtaine d'années par la famille JACLIN originaire du nord de la France. On y organise des concerts et d'autres événements culturels, et les entreprises peuvent venir y faire du team building sous la forme d'un escape game.

Ils ont créé un réseau appelé "la route des Pingouins" qui relie ces propriétés  (restaurants, gîtes d'étape, hôtels, lieux culturels et événementiels) entre elles autour de valeurs telles que la sauvegarde du patrimoine, la conservation d'espaces naturels et la préservation de la vie collective et associative qui garantit toute l'année une offre touristique autour des propriétés rachetées.

Cet article a été rédigé sur base des notes que j'ai prises à la volée lors de notre visite guidée de l'intérieur du château de Kergroadez dimanche 2 juin 2024. Les photos sont les miennes ou parfois celles du site internet du château.

Un peu d'histoire

La construction du château a débuté en 1598, date de l'édit de Nantes et a duré jusqu'en 1613. François III de Kergroadez, écuyer d'Henri IV, reçoit en récompense de son soutien, l'autorisation de construire un château sur ses terres et le titre de marquis. L'ancien manoir de la famille attenant au château a été restauré et sert aujourd'hui de lieu d'accueil pour le public.

La famille de Kergroadez occupe le château jusqu'en 1760, date à laquelle Marie Jeanne Kergroadez épouse un Kerouac et lui apporte le château en dot. Il passe ensuite de famille en famille jusqu'à tomber dans l'escarcelle du Marquis de Roquelaure à la fin du 18è s. Celui-ci avait de l'humour puisque la petite histoire raconte que le roi à qui il a déplu lui ordonne de retourner 'fouler ses terres". Habile, celui-ci en met dans ses chaussures afin de pouvoir rester à Paris sans lui désobéir. Il finira guillotiné durant la terreur.

Confisqué, Kergroadez va servir un temps d'hôpital militaire pour le casernement de Saint-Renan. Le château passe ensuite sous séquestre, est vendu aux enchères par petits bouts, même le toit, ne laissant que la structure de granit. Il tombera petit à petit dans l'oubli et en ruine durant plus d'un siècle.

Au début du 20è s., l'armateur brestois Julien Chevillotte épouse en 1913 Valentine Mével, l'héritière du château. Il décide de rénover Kergroadez, mais on est à la veille d'une guerre alors pour aller vite, la charpente est refaite en pin.  Leur fils Emmanuel exploita la ferme jusqu'en 1991, date à laquelle il revend Kergroadez à un commerçant polonais, Marée Milletchouk. Marchand de tableaux, il rénove le rez-de-chaussée afin d'en faire une galerie d'exposition mais oublie d'inspecter le toit. La galerie en fait les frais puisque le toit finit par percer. 

Le château devient un monument historique en 1995 et c'est en l'an 2000 que la famille Jaclin originaire du Nord reprend Kergroadez pour le rénover en vue d'en faire un lieu touristique et évènementiel, "vivant et ouvert à tous".

La rénovation en trois étapes

La rénovation s'est faite en 24 ans et trois étapes : 1) le logis, 2) les huisseries et le manoir et 3) la chapelle, les écuries et les pièces du dessus (en cours). Les vitraux de la chapelle sont signés Kim en Joong. La rénovation du bâtiment se fait dans les règles de l'art, à l'aide des compagnons bâtisseurs. Son histoire est relatée sur le site du château.

Le puits était la première chose que l'on construisait, avant le château lui-même. L'endroit était guidé par le sourcier. On bâtissait ensuite le château autour du puits. Le nombre de colonnades indiquait le titre du propriétaire : 2 pour un chevalier, 3 pour un baron, 4 pour un marquis,  5 pour un duc et pour un roi autant qu'on veut. Ce château a été bâti selon les mêmes plans que le château de Kerjean, et s'il est de taille bien plus modeste, Kerjean était une baronnie, leur puits n'a que 3 colonnes. Le toit du puits était obligatoire car en cas de siège, les ennemis n'hésitaient pas à catapulter des cadavres et cela pouvait contaminer l'eau.

On remarque sur la façade qu'il y a deux structures de ventaux, qui sont de deux époques différentes. Les rez-de-chaussées de l'aile droite du bâtiment renfermait les communs, deux de l'aile gauche l'écurie, la chapelle et la cuisine. La partie principale, en face de l'entrée, renferme le logis. C'est la partie du château qui est la plus décorée.

Nous pénétrons par l'escalier central, à gauche la salle basse. C'est dans cette salle que le maitre des lieux rendait la justice. Ker signifie lieu, Groa croix et Dez loi (le lieu où l'on rend la justice selon la loi et la croix). Les coupables sont exécutés et attachés aux colonnes de justice. Même règle que le puits, il y en a 4 car Kergroadez est un marquisat qui avait droit de haute justice. Les colonnes sont à l'extérieur du domaine actuel. Elles ont été remontées là car trouvées dans les champs après la révolution.  La table majestueuse qui trône dans cette salle date de 1913. Elle a été construite à l'intérieur du château et ne pourra donc jamais en sortir, trop longue pour passer par les portes. Le blason du château à 6 bandes blanches et noires orne le dessus de la cheminée magistrale qui trône au centre du mur.

Attenante à la salle basse, nous pénétrons dans le bureau du maitre des lieux, elle-même attenante au coffre-fort du château localisé au rez-de-chaussée de la Tour. On y met ce qu'on a de plus précieux dont les documents et chartes, car le pire ennemi à l'époque c'était le feu. C'est pourquoi on appelle ce lieu le chartrier.

Nous montons par un escalier à vis, qui était à l'époque réservé au personnel du château, les nobles empruntant l'escalier central. Il est à noter que la vis allait toujours dans le même sens pour permettre au défenseur qui reculait en montant d'avoir l'épée du côté droit, tandis que l'attaquant qui montait avait son épée du mauvais côté.

Les lits à l'époque sont courts car on dort assis, la position couchée signifiant la mort. A ce propos, l'épée d'un gisant est sculptée sur le torse quand la mort a eu lieu au combat, si l'épée est couchée sur le côté gauche c'est que la mort a eu lieu autrement, d'où l'expression "passer l'arme à gauche".

En général la mariée bretonne apportait ses meubles en bois sculpté dans son trousseau, cela comprenait au moins un lit, une armoire et un coffre assortis, ce sont donc toujours des meubles uniques, qui présentent souvent le portrait des époux. Ceux-ci sont en châtaigner sculptés de marguerites et de céréales (maïs), les colonies américaines étaient à la mode à l'époque. Les meubles sont teints au brou de noix pour obtenir une couleur sombre.

Nous pénétrons ensuite dans la salle haute, qui se trouve juste au-dessous de la salle basse. C'est le salon du maitre des lieux :  on s'y distrait et on y mange. On dressait la table près de la cheminée, la table était amenée et posée sur des tréteaux. Les déchets étaient soit jetés dans le feu ou par la fenêtre où ils compostaient au pied des murs. A noter à droite de la cheminée, un tourne-broche d'époque. Il est à noter que fourchettes et couteaux sont absents des tables. La tapisserie qui orne le mur de la salle haute date de 1600 et a été réalisée par l'école des Flandres.

Le plafond de la salle haute n'existait pas avant la rénovation des années 2000. Il a été réalisé dans les règles de l'art, comme à l'époque, par les compagnons du Tour de France. Le plancher du sol a été chevillé, ainsi que les poutres de soutènement. Le tout a été réalisé sans clous ni vis, comme à l'époque.

Nous pénétrons ensuite dans la chambre de l'intendant. Après le maitre des lieux, c'est la personne la plus importante du château puisqu'il gère le domaine en l'absence de celui-ci. Attenant à cette salle se trouve le pigeonnier du château.

La différence entre colombier et pigeonnier : le pigeonnier se trouve dans les murs, car il sert à héberger les pigeons dont on se sert pour envoyer des messages. Le colombier est à l'extérieur car il sert pour les volatiles qui finiront dans les assiettes. Il est intéressant de noter que le pigeon retourne où il n'est né.Il est aussi jaloux et s'accouple pour la vie. C'est grâce à cela que l'on pouvait être sûr en confiant des pigeons à ses alliés, qu'il revienne toujours au château, là ou il était né et où là où se trouvait sa femelle.

L'extérieur du château et les jardins